Plusieurs spécialistes (danah boyd, Michael Wesch…) ont qualifié la situation de communication produite par les technologies de l’information de “context collapse” (effondrement du contexte). En s’appuyant notamment sur les descriptions par Erving Goffman du caractère multidimensionnel de la communication vivante, il s’agissait de caractériser la perte d’informations occasionnée par la communication sur internet.
L’un des problèmes de cette description est le caractère trop général de la notion de contexte, qui mêle les caractères statiques de la situation de communication (par exemple l’état des relations entre les interlocuteurs) et ses caractères dynamiques (par exemple la communication non verbale).
L’expérience pratique des technologies conversationnelles, en particulier asynchrones ou semi-synchrones (chat, commentaires) montre en effet que la nature de l’échange est bien affectée par les propriétés du canal. L’augmentation de l’ambiguïté engendrée par l’absence d’informations non-verbales ou le ralentissement du rythme de l’échange favorisent un mode de communication moins engagé, souvent plus léger ou plus humoristique, avec une mobilisation sensible de la faculté de dévier ou de modifier le cours de la conversation (mode “trollesque”), ou encore une stratégie de “coups” (mode ludique).
Cependant, il convient de corriger l’appréciation initiale d’effondrement du contexte sur au moins deux points. En premier lieu, il faut constater que les caractères “statiques” de la conversation, les données situationnelles relatives à l’identité des interlocuteurs, sont bel et bien réimportées dans la communication en ligne, lors d’échanges entre personnes de connaissance.
Concernant les caractères dynamiques, on peut observer qu’un nombre important de paramètres de la conversation relèvent de l’interprétation en situation des interlocuteurs. En d’autres termes, il convient de ne pas réduire l’échange à ses caractéristiques techniques: une part au moins de l’information perdue est “rattrapée” par l’exercice d’interprétation.
Un autre facteur est celui de la récupération de la multidimensionnalité par l’intermédiaire des images. Le développement notable de l’utilisation des émoticones, émojis (figures expressives normalisées) ou stickers (vignettes d’accompagnement conversationnelles) a ainsi pour objectif de réintroduire des éléments de nature émotionnelle, reposant sur l’interprétation des expressions, mimiques, gestes ou symboles, substituts de la communication corporelle. De même, la ponctuation de la conversation par des images ou des contenus externes (gifs animés, panneaux, mèmes, citations, etc…) contribue à lui redonner la richesse et la densité des échanges non linguistiques.
La diffusion rapide du selfie, autophotographie située qui répond à l’indistinction contextuelle par une hypercontextualisation de l’image, peut également s’expliquer par cet effet de signature destiné à contrecarrer l’indétermination des situations en ligne.
Plutôt qu’un effondrement du contexte, la communication en ligne a occasionné un redéploiement des usages conversationnels. La fermeture de certains canaux a été corrigée par le développement de nouvelles compétences interprétatives et par le recours intensif aux formes non verbales. Restituant les informations émotionnelles, les mobilisations de données externes ou l’ouverture aux jeux interprétatifs, l’image est venue remédier au caractère trop unidimensionnel du langage écrit.
4 réflexions au sujet de « Pourquoi l’image est devenue conversationnelle »
J’ai vu également des gens discuter par SMS et/ou Messenger (intéressant, la pervasivité de la conversation selon que l’on a du réseau ou pas) en jonglant indifféremment entre image et texte. Par exemple une photo prise sur l’instant du nom d’une station de métro en réponse à un « t’es loin ? ». Une sorte de preuve par l’exemple.
Je m’étais amusé, à partir d’un mail réel, à réfléchir à de nouvelles créativités de langage liées à l’utilisation du simple clavier.
http://owni.fr/2010/05/01/revolution-de-la-langue-grace-au-clavier-lhybridation-des-codes/
Bonjour,
Bravo Monsieur Gunthert, vous commencez à vous intéresser au contexte afin de décrire les pratiques. Vous êtes sur la bonne voie.
Qui sait bientôt vous contextualiserez peut être les situations dont sont issues les images que vous analysez.
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