La place de la caricature, désormais réduite à la portion congrue dans les colonnes des quotidiens, est un bon indicateur des contradictions qui étouffent la presse d’information. Plus de place pour la satire, quand on rame à contre-courant pour sauver les meubles d’un libéralisme décati. Mais la caricature se nourrit des colères et des ridicules, et n’a que faire des routines du journalisme. En ces temps de tumulte et de ruine d’un pouvoir qui court à l’abîme, son énergie déborde sur internet, où le rire et la moquerie répondent aux mines apeurées des commentateurs des chaînes d’info. Alors qu’on cherche en vain une Une marquante de Libération sur la crise des Gilets jaunes, c’est Facebook et Twitter qui fournissent les images les plus cruelles de l’égarement d’un régime en coma dépassé.
Samedi 16 mars, Emmanuel Macron, convaincu d’avoir partie gagnée, surjoue l’insolence et le contrepied. Tournant le dos aux manifestations de l’Acte 18, il s’est envolé pour La Mongie, station de ski au pied des pistes du Grand Tourmalet, premier domaine skiable des Pyrénées françaises. Mauvaise pioche. Alors que la tension monte sur les Champs-Elysées, opposants politiques et twittos expriment leur surprise devant la vacance présidentielle, et font circuler des photos du précédent séjour de 2017 pour illustrer leurs critiques. Quelques heures plus tard, les dégâts parisiens obligent le premier responsable à écourter son séjour et à rentrer d’urgence. Selon Le Canard enchaîné, Macron fulmine et traite ses ministres d’«incapables». «Entre les images du ski, celles de la boîte de nuit et celles de Paris qui brûle, le choc des images est désastreux», estime à juste titre le chef de l’Etat – en oubliant que c’est lui qui a commis la plus grosse boulette.
A 23h33, le photographe Olivier Ruffinetto-Delhaise publie sur son mur Facebook un photomontage satirique, superposant à une photo du jour de Zakaria Abdelkafi (AFP) un cliché d’Eric Feferberg (AP/SIPA) du 12 avril 2017 du couple Macron sur un télésiège (voir ci-dessus). La force du raccourci en fait une icône immédiate. Le mélange détonant de l’indifférence présidentielle survolant la colère populaire fait la joie des réseaux sociaux, et apporte la réponse de l’impertinence aux images du Fouquet’s en flammes.
Le jeudi suivant, l’hebdomadaire d’Arnaud Lagardère, ami des Macron, qui leur a déjà consacré pas moins de 13 couvertures, tente de réparer les dégâts de la sortie à ski. Un portrait qui se veut martial du président fixant le peuple des Gilets jaunes, les sourcils froncés, accolé à une image du «saccage des Champs-Elysées», illustre «La riposte aux casseurs» (photo: Stephane Lemouton, Bestimage). Mais l’air furibard, la pose peu naturelle, et le registre zyva du caïd supposé impressionner les émeutiers donnent un air de caricature involontaire à ce montage. Celui-ci n’a pas tardé à être détourné à son tour, par l’ajout d’une grenade de désencerlement ou d’autres accessoires du maintien de l’ordre à la française.
Rien d’étonnant. Comme l’a montré l’iconographie de la photographe Soazig de la Moissonnière, choisie par Macron pour sa promotion, le rapport à l’image du président est celui d’un premier degré proche du cartoon. Le portrait menaçant de Match permet de relier rétrospectivement les images qui jalonnent le parcours d’un chef d’Etat tenté par l’autoritarisme, de l’intronisation du 14 mai 2017 en command car sur les Champs à son portrait officiel, poings accrochés au bureau, prêt à en découdre. Une imagerie qui tend désormais à rejoindre sa caricature, tel le photomontage de Macron et de ses ministres en Pinochet, dont la police avait demandé sans succès la suppression, ou la couverture reniée du Monde, qui repeignait la plus célèbre avenue de France aux couleurs du totalitarisme.
5 réflexions au sujet de « «Le choc des images est désastreux» »
Pour les journaux, il me semble qu’ils sont aux ordres des milliardaires qui les possèdent : on croyait avoir touché le fond de la représentation avec (les bourrelets de) sarko premier mais le « nouveau » (tellement ancien monde pourtant) parvient à le dépasser – la prouesse est de grande amertume – : c’est sans doute que la fonction créer l’organe…
Votre analyse elle-même est assez caricaturale ! le pouvoir qui court à l’abime, le « régime en coma dépassé » autant de clichés qui ne disent rien mais participent eux aussi d’une certaine doxa. Non que je cherche à défendre le président ou le gouvernement mais lire des arguments aussi pauvres me rend le reste sans intérêt.
Comme quoi il en faut peu pour décourager un légitimiste…
Merci pour ce post. Mais je suis bien obligé de partager le point de vue de Raymond Barre (pour une fois).
Par exemple, sur la photo de Paris-Match, qui est effectivement assez cocasse en elle-même, le détournement proposé est d’une rare nullité. Il y a un ajout mal maîtrisé qui me semble détruire totalement l’effet recherché.
Quant à assigner Macron à la position d’un Pinochet au petit pied ou mieux à une variante totalitaire, cela en dit plus long sur l’ignorance de beaucoup (un grand méchant comme Pierre Manent a dit là-dessus des choses, selon moi, assez justes) et assez peu sur un gouvernement qui se caractérise plus par son néolibéralisme radical que par sa violence radicale (une violence par exemple très sensiblement inférieure à celle des années gaullienne, elle même d’un niveau de violence sans commune mesure avec celles disons de l’équipe Maduro, Erdogan ou Poutine et je n’ose évoquer ici Pinochet avec ses milliers de morts ou disparus et ses dizaines de milliers de torturés ou exilés).
Et si une caricature pour être efficace et pertinente, doit être juste, nous en sommes assez loin.
Sauf la 1ère qui pose effectivement la très grave et très décisive question de l’absence de Macron à Paris un jour de manifestation des gilets jaunes (où va le monde devant un acte si cruel ? Que dirons nos petits enfants lorsqu’ils nous demanderons ce que nous avons fait devant une telle barbarie ?).
Contrairement à votre habitude, l’analyse est ici totalement dévorée par le parti pris.
Si j’étais méchant je pourrait penser qu’Emmanuel Macron, comme May, Trump ou Salvini (qui sont tout de même assez mauvais à tous les sens du terme) peuvent dormir tranquille tant leurs adversaires (et pas uniquement les politiques, ce qui est sans doute le plus terrible) sont nuls. Mais je suis trop sensible. Aussi je me contenterai (même en sachant que c’est inutile) de trouver que c’est assez triste pour les idées que vous estimez devoir défendre.
@chapo lisa: Je vous confirme que je n’ai aucune sympathie pour un régime autoritaire. Je n’étais d’ailleurs pas plus favorable à Sarkozy ou à Hollande, qui ont notamment contribué, dans le domaine qui est le mien, à affaiblir et à destructurer l’enseignement supérieur et la recherche. Ces parti-pris ont-ils altéré mon appréciation en matière visuelle? Je laisse les lecteurs en juger.
Concernant la satire, la production de caricatures d’un dirigeant par des anonymes n’est pas une ressource naturelle qui sort de terre comme du pétrole. Sur la durée (appréciable au moins depuis 2007, compte tenu de la maturité des outils conversationnels), cette production offre un reflet plutôt fidèle de la perception des troubles et des difficultés d’un régime. J’ai profité ici d’un cas particulier pour relever l’accroissement remarquable de cette production et de sa diffusion. Ces caricatures ont en effet la dent dure à l’égard du président actuel, dans des proportions qui ont été épargnées à ses prédécesseurs. Une observation sereine impose de prendre en compte ces faits objectifs. On peut bien sûr discuter les rapprochements que je propose, mais la polémique qui a accueilli la couverture de M/Le Monde semble témoigner d’un problème inédit. L’histoire n’est pas finie, et nous verrons bien si la direction actuelle se confirme, mais je n’avais encore jamais vu un tel pic (je ne montre pas tout, ni ne peut montrer ici les plus mordantes des caricatures, bien pires que ce que votre sensibilité pourrait tolérer…).
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