La vie sans Game of Thrones

Après le dénouement de l’intrigue de Game of Thrones, la série se clôt sur un épilogue mélancolique. Sans un mot, la camera accompagne successivement la marche de trois rescapés de l’immense jeu de massacre, lointains héritiers de la première saison, sur le chemin de leur nouveau destin. Cette séquence accessoire ne sert à rien d’autre qu’à dire adieu à ces personnages, et à travers eux à l’ensemble de la saga.

Adieu, car ceux qui ont participé pendant 8 ans au déploiement de cette fiction hors norme doivent désormais mettre un terme et remiser parmi leurs souvenirs cette partie de leur existence où ils ont partagé les aventures de Ned, Sansa, Arya, Jon, Bran, Daenerys, Cersei, Jaime, Tyrion et les autres… L’érudition qui permettait de dérouler les fils reliant ces trames croisées, où chacun d’entre eux avait peu à peu acquis la stature et la densité d’une personnalité vivante, dont on pouvait parler entre nous comme d’un proche, ce savoir longuement acquis va bientôt s’évanouir, comme l’empreinte de ces héros tant aimés. Alors oui, ce recit méritait bien quelques minutes de recueillement, avant que s’ouvre le temps redouté du deuil de l’imaginaire.

On pourra revoir Game of Thrones, mais appuyer sur le bouton replay ne fera plus jamais exister ce temps où spectateurs et acteurs partageaient la jouissance d’une fiction ouverte, de l’inconnu de la péripétie encore à venir, dans le balancement entre permanence des caractères et coups de théâtre, selon la recette éprouvée du feuilleton populaire. Si la huitième et dernière saison a suscité tant de grincements de dents, c’est simplement parce que nous savions déjà que cette richesse de possibles, qui avait conféré son dynamisme à la série, allait nécessairement s’éteindre, au rythme inéluctable du nombre d’épisodes qui nous séparaient de sa fin.

Comme La Recherche du temps perdu, dont la longueur impose une lecture qui n’est plus seulement un moment distrait de l’existence, mais qui s’installe dans notre vie et en accompagne le déroulement, Game of Thrones aura accompagné une  période de ma vie de famille, celle de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte de mes deux fils, avec qui j’ai eu la joie de partager les émotions de la saga. Avec ses héros, c’est sept ans de ma vie que que je range au rayon des souvenirs, la tête encore pleine d’images de loups, de dragons et de marcheurs blancs. Je n’aurai jamais cru qu’il pouvait être si difficile de quitter une fiction.

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7 réflexions au sujet de « La vie sans Game of Thrones »

  1. « suscité tant de grincements de dents, c’est simplement parce que nous savions déjà que cette richesse de possibles, […], allait nécessairement s’éteindre »
    Il faut aussi ajouter que cette saison est bâclée, beaucoup d’intrigues et de questions non résolues, des personnages mal exploités par rapport à leur développement tout au long de la série et trop peu d’épisodes pour répondre à (au moins quelques) attentes.

    L’épisode final est un bon épisode de fin série (exercice toujours difficile) mais pas une bonne fin de saison.

  2. @Tom: Aucune solution scénaristique compatible avec l’économie de la série n’était possible dans une seule saison, qui plus est réduite à 6 épisodes… La mauvaise nouvelle (ou la mauvaise idée) était de faire une dernière saison!

  3. « 7 ans de ma vie que je range au rayon des souvenirs ». Il y a comme un écho tragique dans ces mots. Mais ne range-t-on pas au rayon des souvenirs tout ce que l’on vit dès lors que « c’est vécu »? En revanche pendant combien de temps cette fiction restera-t-elle à l’état de souvenir est une question qui peut se poser. Car est-ce cette fiction ou la fin d’une tranche de vie réelle qui s’éloigne? Au fond, de quoi le « deuil imaginaire » est-il le nom?

  4. @VD: Oui, ce qui est vécu appartient au passé, mais bien des événements que nous vivons sont appelés à se reproduire, et ne menacent pas de disparaître. Ici, la fin de la série marque une période de vie comme terminée: c’est l’entrelac que la fiction a tissé avec nos existences qui disparaît comme actualité et comme promesse.

  5. J’entrevois ici « la série » comme objet d’un partage, voire un rituel familial: on se prépare à regarder, on regarde ensemble, on partage ses impressions et on attend la suite avec impatience. L’aspect formel affecte l’existence puisqu’il le contraint en quelque sorte. Cependant, qu’en est-il du sens, du fond, en somme du message véhiculé (pour autant qu’il existe) ? Si celui-ci était suffisamment puissant pour s’imprégner dans « l’existence » du spectateur, alors la fin de la série ne marquerait pas « une période de vie comme terminée », mais au contraire, comme une période de vie renouvelée, enrichie probablement. J’ai comme l’impression que les séries qui laissent un sentiment de fin ou de vide, de mort en somme (et vous parlez à juste titre de « deuil »), lorsqu’elles se terminent ne font que révéler leur insignifiance, leur inanité. L’existence aurait-elle été bernée par le modus operandi de « la série » qui consisterait (seulement) à exciter l’esprit en lui faisant miroiter à la fin de chaque épisode la promesse de dénouement d’une intrigue qui n’a jamais existé? Après 7 années d’addiction « Je n’aurais jamais cru qu’il pouvait être si difficile de quitter une fiction », place à la « rehab » (qu’ai-je réellement fait de ma vie pendant 7 ans?) …ou à la rechute grâce à Netflix ;-)

  6. Ce qui appartient désormais au passé, c’est évidemment le caractère d’œuvre participative de GoT, qui a imposé de manière caractéristique son rythme aux conversations des fans (éviter les spoilers avant le visionnage de l’épisode/partager les commentaires ensuite…). Pour un bon exemple des effets de cette temporalité particulière, voir notamment: « Jon Snow, vivant et mort, pour l’amour des fans« .

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