L’allégorie de Barcelone

Eric Scherer était à la conférence de presse Samsung de Barcelone, ce qui permet de découvrir le contexte de la fameuse photo devenue virale. On ne sait pas ce qui fait le plus peur: le casque Gear VR plongeant les spectateurs dans la réalité virtuelle, ou cette foule résolument masculine d’experts accourus à la grand messe publicitaire d’un nouveau modèle de smartphone.

FB_ZuckerbergBarcelone

Diffusée par Mark Zuckerberg himself le 21 février sur sa timeline, l’image fonctionne comme un rébus ou un test de Rorschach, une provocation qui réveille tous les fantasmes de l’illusion visuelle, version modernisée de la caverne de Platon. Elle confirme surtout les mécanismes d’imagerie narrative, en dévoilant le travail du spectateur, qui projette sur le support un matériel imaginaire composé de référents à haute teneur symbolique. Un excellent exemple de ce travail d’association est fourni par Olivier Ertzscheid, qui fait voisiner Les Temps modernes, 1984 et Orange mécanique.

La comparaison avec un autre exercice interprétatif, celui de Daniel Schneidermann, qui révèle une vision plus machiavelienne («Si cette photo frappe, c’est par le contraste entre le sourire du voyant, et la foule assise et inexpressive des aveuglés. Ce qui nous est donné à voir par cette représentation du pouvoir d’aujourd’hui, c’est ce contraste. Et nous sommes les seuls à le voir, nous qui n’étions pas à Barcelone»), montre que la projection allégorique dépend autant de la culture du spectateur que du référent objectif de l’image. Dis-moi ce que tu vois, je te dirai qui tu es.

Le Monde propose plus habilement un panorama des lectures, non sans céder in fine à la tentation allégorique («La réalité virtuelle fait peur autant qu’elle fascine. Casqués, les utilisateurs semblent absorbés dans un autre monde, semblent avoir perdu pied avec la réalité»), mais celle-ci découle cette fois de la collection des réactions plutôt que de l’image elle-même – une forme d’interprétation au carré qui s’impose dans le contexte d’une image devenue iconique par le travail de la réception.

7 réflexions au sujet de « L’allégorie de Barcelone »

  1. (sacrifions à l’interprétation, si tu permets) le type dispose de tout le kit pour faire de lui un vrai homme moderne, et ça fait plaisir à voir vraiment (pas de cravate, il est vêtu comme un vendredi, à l’aise, cheveux courts pas de barbe sourire à la con comme il faut (s’il faisait la gueule comme sur les photos d’identité à la bush, ça ferait jaser, tu comprends), enfin tout le kit) (les honoraires du photographe ne sont pas mentionnés sur la timeline, si ?) (donne juste envie de vomir) (comment va sa fille, au fait ?)

  2. Beaucoup plus effrayante, peut-être, que cette image, la phrase prononcée par Eric Scherer à Barcelone :
    «Nous sommes passés d’un monde dominé par le texte à un monde dominé par l’image, et nous serons dans quelques années dans un monde où la majorité des contenus consommés en ligne seront des vidéos.»
    Le mot « consommés » est à souligner !

  3. Un complément: le commentaire de Vincent Glad sur son blog, qui propose une lecture plus technofuturiste – mais toujours allégorique:
    http://an-2000.blogs.liberation.fr/2016/02/23/ce-qui-nous-derange-tous-dans-cette-photo-de-zuckerberg/

    (à noter l’erreur de Vincent : « LeMonde.fr dresse un très intéressant panorama des images de la culture populaire auxquelles renvoie cette mise en scène »: non, la photo de Barcelone ne « renvoie » pas à ces images, celles-ci sont des projections librement associées par les spectateurs…)

  4. @Jacques Bienvenu

    A la fin du dernier Equipe Explore, « vous êtes 29 millions à consommer nos contenus sur L’Equipe.fr, le journal ou la télévision ».

    Oui, moi aussi ça me dérange.

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