Invité hier matin sur la radio culturelle publique, en compagnie de Lionel Charrier (Libération), à commenter les photos qui ont marqué 2016, j’indiquais que si je ne devais en garder qu’une, ou plutôt deux, je choisirais Zuckerberg à Barcelone et le selfie d’Hillary Clinton.
Pourquoi celles-là? Ces images n’ont pas été retenues dans le top ten de l’année proposé par Time1, belle série à l’ancienne des clichés les plus réussis du photojournalisme américain, incluant comme il se doit la Syrie, Cuba, les migrants en Méditerranée, la protestation contre les dérapages racistes des forces de l’ordre, Donald Trump ou Usain Bolt en pleine course.
Cette vision où la photographie des photographes est choisie et commentée dans l’entre-soi professionnel est conforme aux canons du genre, qui rappelle les rituels d’autocongratulation des festivals spécialisés, et produit une imagerie étrangement propre et lisse, comme refroidie de se voir présentée pour ses qualités graphiques, à distance de l’actualité.
Bien différents sont les objets qui m’intéressent, et dont je tente de produire bon an mal an le relevé, non sans impasses et oublis, et qui ne sont pas seulement des images, reflets de l’événement, mais d’abord et avant tout des débats à propos des images. Ce que j’aperçois, à travers la seule fenêtre des réseaux sociaux (essentiellement Facebook et Twitter), ce sont des appropriations où l’image – bien souvent fixe, plus rarement animée – joue le rôle de catalyseur de commentaires énervés ou moqueurs, parfois concrétisés sous forme de mèmes et de détournements, dans la chaleur et l’immédiateté de la remise en cause de l’actualité officielle.
De différentes manières, le paradigme qui opère est celui de l’image comme preuve. Pour contredire, bien souvent, un récit standard, comme dans le cas des violences policières, des dégradations de l’hôpital Necker, ou du burkini. Ou pour révéler une vérité cachée, une leçon que l’image dévoilerait de manière emblématique, comme dans les cas Zuckerberg et Clinton. Pour le dire autrement: l’image s’offre comme un outil accessible pour contester l’évidence.
Non que la forme visuelle soit nécessairement prise pour argent comptant. Au contraire, on voit se développer des formes élaborées de critique de l’image, comme dans l’interrogation sur la représentation des terroristes. Tout le monde a bien saisi que l’image est une ressource narrative, et qu’un portrait souriant ou en grand format fonctionne comme un instrument de valorisation – preuve de la maîtrise d’une sémiologie complexe. Dans le cas syrien, la complexité de la situation politique encourage la réserve ou le doute sur les contenus diffusés, témoignant d’une forme de critique des sources.
C’est aussi cette nouvelle expertise qui permet de se saisir de photographies diffusées à des fins promotionnelles, comme celles de Zuckerberg et Clinton, pour en faire une lecture allégorique. J’ai critiqué ce que ces exégèses avaient d’abusif, mais il faut reconnaître que le déploiement spontané de cette capacité interprétative, qui s’effectue en dehors de l’autorité des spécialistes, par le seul intermédiaire de la discussion publique sur les réseaux sociaux, est une manifestation tout à fait réjouissante d’une démocratisation de la compétence visuelle. C’est la raison pour laquelle je retiens finalement ces deux exemples, plus significatifs et plus importants pour ce qu’ils montrent d’une nouvelle appréhension de l’image que n’importe quelle illustration événementielle.
Une image qui compte est une image qui fait débat. Car comme l’enseigne la sociologie des controverses2, c’est dans la discussion publique que se joue l’établissement des principaux points de repères de la communauté. Cette construction passe désormais par la mise en discussion des images – et en l’occurrence d’images qui questionnent justement la manière de percevoir le monde, ce qu’on pourrait appeler la réflexivité visuelle, en suggérant l’effet d’aveuglement des nouvelles technologies.
- Le selfie de Clinton, lui, a néanmoins droit au top 100: http://time.com/top-100-photos-2016/. [↩]
- Cyril Lemieux, “À quoi sert l’analyse des controverses?”, Mil neuf cent, revue d’histoire intellectuelle, 2007/1, n° 25, p. 191-212. [↩]
2 réflexions au sujet de « Des images qui font débat »
Bonne année 2017 et bonnes analyses de ces futures images qu’on espère moins catastrophiques, pour la plupart, que celles de l’encore présente… !
(merci pour le lien vers le top 100 de time – on y trouve des photos de l’une de mes égéries préférées, E2 et de son petit jardin) (le palmarès du Monde bnp est moins fourni mais en reprend un bon nombre…)
Dans l’image de ce pédégé avançant vers la scène, son sourire son jean ses basketts son hexis triomphante, l’aveuglement est plus que suggéré…
Mais oui, bonne année 2017 tout ça tout ça…
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